jeudi 16 août 2012

La dernière chevauchée des Rois Mages


1ère de couverture :
aquarelle d'Andrée Lavieille
La dernière chevauchée des Rois Mages, de Bernard Marcotte.
Éditions Thélès, 166 p., 2011














Extraits de la Préface (par Henri Cambon)
   Ce recueil représente un ensemble très varié, dans lequel Bernard Marcotte se révèle comme conteur plein d'imagination et de fantaisie, et aussi comme poète et comme philosophe […]
   L'imaginaire de ses contes, il l'a puisé dans des terrains bien divers. D'abord le Moyen Âge, qui l'attire tout particulièrement […] ; chez Charles Perrault, dont il réinterprète les contes dans Les Bottes de l'Ogre (Chronique du temps des fées) […] ; mais encore parmi le légendaire finnois […] ; et, bien sûr, pour cet écrivain nourri de littérature classique, dans la mythologie grecque et romaine, ce qui l'a conduit à réécrire l'histoire de Psyché. […]
   Quant à ses Ardennes natales, Bernard Marcotte y revient dans Autour de la mort, pages tout à la fois poignantes et empruntes d'une grande sérénité.

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La dernière chevauchée des Rois Mages : Quelques extraits

La dernière chevauchée des Rois Mages
   Je vais dire comment les Rois Mages, au retour de Palestine, chevauchèrent jusqu'en Paradis. Or cette histoire est un conte et rien de tel n'arriva jamais sur la terre : ceux qui vivaient alors, ceux qui ont vu et entendu les choses de ce temps et qui en ont témoigné pour tous les hommes nous apprennent que les Rois Mages revinrent dans leur pays et telle est la vérité selon l'histoire. Ne puis-je rêver pourtant l'aventure que voici, imaginer un autre voyage et vous le présenter comme une seconde vérité, une vérité selon mon cœur et mon esprit ? Vous le savez : les conteurs ne changent rien à l'ordre des choses, ils n'atteignent pas la réalité, elle subsiste tout entière après eux. Quelles que soient les merveilles qu'ils aient rêvées, ils n'ont pas ajouté une fleur, pas un parfum et pas un bruit, pas une lumière et pas une ombre à la Création : leurs fictions glissent au-dessus de la vie, aussi légères, aussi impalpables et aussi vaines que les vapeurs et les nuages au-dessus de la face de la terre. Pourtant, sachant qu'il y a dans les cœurs humains, à côté de la certitude et de la foi, des espérances et des désirs, des pressentiments et des rêves, les conteurs composent leurs histoires comme le corps léger et brillant où s'incarneront ces pensées confuses : ils comblent cette attente, apaisent cette inquiétude ; par eux rien ne devient réel, mais tout redevient beau et pur, si beau même qu'il semble que la vanité de leurs œuvres soit comme le prix des enchantements qu'ils nous dispensent. Je vais tenter ici de les imiter et comme eux vous dire une histoire merveilleuse et qui n'a pas été.

Le voyage de la Vierge (d’après un fabliau de Rutebeuf)
   Certes, elle les entendit dans les cieux, la très douce Dame, quand ils se lamentèrent et qu'ils l'appelèrent, chacun dans sa prison. « Ah ! dit-elle, quel grand dommage vous est-il advenu, mes bons fidèles ? Messire Guillemin, ne criez point si fort, je vous entends, et bien irai-je vous secourir. Vous, Dame Blanche, votre plainte me navre. Cessez et patientez si vous m'aimez. » Lors la Dame vêtit sa robe, sa robe qui est bleue comme le ciel du matin et semée d'étoiles comme le ciel pendant la nuit, elle mit sur sa tête un diadème léger et fin, aussi gracieux que son sourire, aussi resplendissant que son regard. Puis s'étant ainsi parée, elle s'en alla vers la plage des élus d'où elle descendrait sur la terre. […]   À travers les étoiles, dans la paix lumineuse du ciel, calme et droite comme un grand lys, la Vierge descendait vers la terre. Ce voyage lui était familier, bien des fois ainsi elle avait glissé dans l'espace, car jamais on ne l'avait appelée en vain. Aussi n'éprouvait-elle point de surprise à se sentir si légère, si doucement caressée par les nuées errantes, si curieusement entourée de cette multitude d'étoiles : « Vous êtes les fleurs du ciel, leur dit-elle, vous êtes des fleurs blanches, des fleurs bleues et des fleurs d'or : le Seigneur a fait fleurir son étendue. Je vous aime, petites étoiles : vous êtes immobiles comme le bonheur, vous êtes innombrables comme les bienheureux. Vous êtes là pour nous guider quand nous allons vers les hommes et c'est pourquoi l'on dit qu'au jour où la terre sera dépeuplée, vous vous abîmerez toutes dans la mer. »

La Vierge Marie à la recherche de l’enfant Jésus
   Ce fut seulement à l'aube qu'on retrouva l'enfant Jésus : il était assis sur l'Étoile du matin et il souriait confusément à l'aurore.

D’après des légendes finnoises
Kyllikki
   L'étoile aima Kyllikki, Kyllikki aima l'étoile, elles se donnèrent l'une à l'autre le plus doux des regards et le plus fin des rayons.
   Toujours il y aura des Nives et des Rayons de soleil et de merveilleux départs vers des pays plus beaux et des montagnes où fondra la neige. Toujours aussi la montagne de Kyllikki sera blanche et Kyllikki aimera son étoile.
   Les choses sont éternelles : celles qui demeurent et celles qui recommencent.

Les Bottes de l’Ogre (Chronique du temps des fées)
Chapitre 2 – Comment la fée Carabosse déclara la guerre au roi de Verteville et fit mettre à sac la maison de sa mie
   […] L'audience ne fut reprise qu'assez tard dans l'après-midi.
   Étaient présents, cette fois, les deux témoins de la cause, et M. le Président, gracieusement, les interrogeait :
   « Vous étiez donc à la promenade, Mesdemoiselles ?
   – C'était par ordre de Madame, dit Reine-Marie.
   – Monsieur, ajouta Bouton, on nous avait envoyées aux champs.
   – Et vous trouvâtes les bottes sur la route ?
   – Dans le fossé, M. le Président.
   – Était-ce de-ci, ou de-là ?
   – C'était dedans, fit Bouton.
   – Je veux dire : était-ce du côté du chemin ou du côté du champ ?
   – À portée de main, précisa la grande Reine.
   – Plus près de la route, donc. Or, Messieurs, la route est domaine royal, comme aussi la mi-part des fossés qui la jouxtent. Dimidia pars…, dit la vieille ordonnance. Les bottes, trouvées en terre de souveraineté, sont de bonne prise et bien de roi. Ce étant entendu, nous déboutons Madame la fée de sa requête.
   – Eh ! bien, fit Carabosse, puisque le droit n'y fait, j'y emploierai la force, et je vous déclare la guerre, Messieurs de Verteville.
   – Nous ne sommes point ici, s'écria le Président en levant les bras, pour recevoir de pareilles sortes de déclarations : c'est assez de nos causes. Emmenez cette vieille folle », fit-il bas à l'huissier.
   On la mit hors. Mais elle se rendit sur la place, et, se tournant d'abord vers le palais, puis vers l'église, puis vers la halle, puis vers la prison, par quatre fois, aux quatre vents du ciel, elle cria bien fort : « Ce jour, en cette heure, et à compter de la lune nouvelle, la fée Carabosse déclare la guerre au roi de Verteville et à ses gens. »
   Quand le prince rentra, dans la soirée, on lui raconta qu'il était venu une sorcière qui avait mis le peuple en émoi par les rues : mais il n'y prit garde et se mit au lit, ayant résolu de se lever tôt pour aller à la chasse. […]

Chapitre 6 – La mort héroïque de M. le marquis de Carabas
   Le soir est venu. La guerre est finie, Verteville a capitulé.
   M. de Carabas demeurait gisant en travers du pré, au milieu des siens. Tout son sang avait coulé : il ne souffrait plus, mais il allait mourir. Ô, qu'est-ce donc qui tournait là-haut, tournait toujours plus fort ? … Le moulin !
   Il était meunier, elle était meunière. Le grain blond coulait…, la blanche farine ruisselait…
   « Ô ma miette, que tu es blanche et que tu es dorée !
   – Et vous, Monsieur, vous avez encore taché de rouge votre bel habit.
   – Ce sont des coquelicots, Madame, que j'ai cueillis dans les blés mûrs. »
   Le grand moulin tournait, tournait toujours plus fort, et, se laissant emporter dans sa ronde élargie, l'âme de M. le marquis de Carabas s'envola au Paradis des braves.

L’histoire de Psyché contée aux enfants
Chapitre 2 - Psyché au Pays des Enchantements
   « Le ciel rougit ; une ombre rose colore ton visage. Que tu es beau ! Que Psyché se voit belle, plongeant dans ton regard ! Un dieu, sans doute, un dieu m’a ravie à la terre. Dis-moi ton nom. Quel rang tiens-tu dans la troupe immortelle ?
   – Je suis l’Amour, Psyché, non pas celui qu’ils ont chanté près des grands fleuves, et ni les monts neigeux, ni les vertes vallées ne connaissent ma loi. Je règne, ployant toute vie sous mon empire, et voici qu’à mon tour, docile à ton caprice, j’éprouve, en son entière force, cet invincible attrait dont je blessais les cœurs. Beaux yeux, où brille encore une flamme impie, lèvres, si doucement perfides, qui m’avez murmuré vos flatteuses paroles, petit corps, secrètement gardé et maintenant perdu, à vous ce dernier regard et ce dernier baiser. Tout va finir, hélas ! De ces fragiles merveilles où s’assurait notre âme, rien ne peut demeurer. Le pacte est transgressé et déjà, comme un essaim irrité, prompt à détruire son ouvrage, le peuple des Génies s’éveille autour de nous. Ne sens-tu pas dans l’air, partout suspendue, l’invisible menace ?
   – Je vois le ciel calme, la feuillée immobile. Quoi donc s’est ébranlé, et quoi donc va mourir ? Tout n’est-il pas paisible, assuré, donné pour une heure éternelle ? Dis, mon roi timide, fit-elle pas bien, ta Psyché téméraire ?… Ah ! pardonne-moi.
   – Adieu, Psyché. »

Autour de la mort
   Je voudrais seulement que vous me lisiez un matin de printemps près d'un village que vous aimez, quand les vallées embaument et que les fleurs écloses la veille au grand midi, s'effeuillent au vent. Ou plutôt qu'une voix de femme, votre sœur ou votre mère vous dise ces paroles, car je sais que vous m'aimerez mieux ainsi. Et puissent ces heures vécues avec moi être les plus nobles et les plus fières de votre jeunesse, non parce que mon récit vous enchanta, mais parce que, ce jour-là, le ciel vous fut infini et que toute la splendeur du matin pénétra dans vos âmes.

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À propos de La dernière chevauchée des Rois Mages

   À mi chemin entre le conte et le poème en prose, les textes de Bernard Marcotte s’occupent à revisiter tous les mythes (les fées, les ogres, les dragons) et toutes les légendes (chrétiennes, finnoises, grecques) pour créer au final un univers fantasmagorique très personnel où la Vierge Marie se retrouve être un personnage féerique au même titre que Cendrillon ou Vénus.
   S’amusant à explorer les zones d’ombres laissées dans les contes traditionnels (qu’ont fait les Rois Mages sur le chemin du retour ?, comment le Petit Poucet a-t-il fait pour entrer dans les bottes de l’ogre ?), il fait preuve lui-même d’un réel talent de conteur, tout en gardant toujours un œil critique (et souvent caustique) sur tout ce qu’il écrit.
   Sa langue, enfin, fait souvent mouche et son sens de la formule nous conforte dans l’idée qu’il s’agissait bien là d’un vrai écrivain et que sa redécouverte est parfaitement légitime.
Site Internet de la revue Le Grognard (24.10.2011)

   Poète, dramaturge, conteur et philosophe, Bernard Marcotte se doit d'être lu par de nouvelles générations qui apprécieront son style limpide non dénué d'humour.        
Radio Massiabelle. À l’écoute des livres (09.11.2011)

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