samedi 1 septembre 2012

Quelques poèmes de Bernard Marcotte

             
                     Je n'ai pas de fierté


Je n’ai pas de fierté, je n’ai pas de génie.
J’assiste sans orgueil à la beauté du monde,
Et ne crois point encor mon âme si profonde
Que j’en eusse jamais du dédain pour la vie.

Je ne suis point si grand pour avoir des sarcasmes.
D’un peu plus de bonheur je ne me fais pas gloire ;
Je ne me targue pas d’un moment d’enthousiasme,
Et n’ai pas exalté les jours de mon histoire.

Et pourtant je la vis plein d’un immense amour.
Sans faste et sans éclat, je me fais chaque jour
Un bonheur simple et grave, une splendeur intime ;

Je ne me rêve pas héroïque ou sublime,
Mais il m’aura suffi, passant illuminé,
De créer de la joie et de la rayonner.


               Vierges de France


Vierges des églises de France et des clochers,
Plis chastes de la robe et fins profils penchés,
Mélancolie heureuse et douceur d’un sourire,

Air grave qui nous chasse, air mutin qui rattire,
Des caprices d’enfant dans un profil divin,
Une gaieté captive entre deux rangs de saints,

Premier pas vers le ciel, tout près de nous encore,
Vous souriez sous le portail où l’on adore,
Avec on ne sait quoi d’étrange et de lointain.

Vous nous montrez le ciel, un ciel si vite atteint,
Que l’on y vient, tout plein des frissons de la terre,
Et le cœur sans extase et les yeux sans mystère.

Vous inclinez vos fronts sous des voiles légers.
Votre visage rit et vous semblez changer,
Nous parler, nous aimer d’un autre amour peut-être.

Celui que vous nommez le Sauveur et le Maître
Donna la forme humaine à sa divinité :
Comme il est descendu, vers lui vous remontez.

Et c’est une rencontre apaisante et profonde,
À mi-chemin du ciel unissant ces deux mondes,
Celui qu’on a rêvé, celui qu’on a connu.

Ô madones de France au corps frêle et menu,
Ô vous dont le regard, l’attitude et le geste,
Sans cesser d’être humains sont devenus célestes,

Comment avez-vous pu, tout d’un coup, sans effort,
À l’ombre d’un portail diviniser ces corps
Que l’ascète meurtrit pour la vie éternelle ?

Comment avez-vous pu, sans cesser d’être telles,
Avec ces mêmes yeux, avec ces mêmes mains
Qui devaient accomplir des offices humains,

Aimer du même amour, haïr des mêmes haines,
Madones de Champagne et Vierges de Touraine ?
Comment avez-vous pu, sans nous abandonner,
Vous en aller vers Dieu, doux profils inclinés ?


                   L’asile de nuit

C’est l’asile de nuit : entre qui veut, la porte
Est grande ouverte aux gueux, ainsi qu’aux feuilles mortes.
Tout ce que le vent pousse et que chasse la nuit,
Haillons et deuils, tout vient dormir dans ce réduit.
C’est l’asile de nuit ouvert au pauvre monde,
Chose vague, vers qui se traîne un peuple immonde.
C’est le dernier foyer, sans flamme et sans aïeul,
En dépit de la foule on y dort toujours seul.
Tu trouveras ton coin aussi toi qui frissonnes,
Entre : tu sais bien qu’on ne refuse personne.
La bonne vieille auberge accueille tous les gueux,
Des bohémiens chantant, des fous, des indigents,
Et d’autres qui passaient et tout à coup s’arrêtent,
Se disant : C’est bien là qu’il faut poser sa tête.
L’enseigne de ce gîte : Assistance de Dieu.
C’est l’asile de nuit…
                                   (septembre 1907)


    Aux écluses (derrière le Pont-Neuf)

Vous aviez mes amis des visages très pâles
Sous un ciel tiède et gris d’une langueur d’opale :
Un escalier plongeait dans une eau sans remous,
Et sur les quais avec un bruit tranquille et mou
Montaient et descendaient de minuscules vagues.
Vous souvient-il ? On entendait des heures vagues
S’éveiller et mourir là-bas dans la cité,
Et sur un môle blanc vous étiez arrêtés
Comme des dieux inquiets d’une éternelle attente.
Étendus sur la pierre et les jambes pendantes,
Vous ébauchiez des vers, ces vers les plus amers
Qu’on murmure tout bas, et qu’on n’écrit jamais,
Et vous ne parliez plus : vous regardiez le monde.
Une chose montait dans vos âmes fécondes.
Un désir inconnu faisait briller vos yeux
Devant ce paysage immense et merveilleux
Qu’emplissait la rumeur tranquille de la Seine.
Ô mes amis, plus haut que l’amour et la haine,
Vous vous laissiez aller au vieux péché d’orgueil.
Ce n’est donc pas assez de la joie et des deuils,
De la simplicité des choses quotidiennes,
Il faut que tous les soirs quelqu’un se lève et vienne
Regarder tout cela pour le chanter plus tard,
Et pour faire éternelle, une heure de hasard.
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Vous souvient-il ? Les ponts sont bleus. La Seine coule…
Une heure sonne au loin. De minuscules houles
Viennent battre les quais et le bord des chalands.
Le fleuve à vos côtés de son rythme indolent
Berce longtemps votre âme inquiète et ravie.
Alors… ce sera tout… Laissez couler la vie.
                                       (octobre 1908)


                Et les coucous aussi

Les genêts sont en fleurs dans les vertes vallées,
Les genêts sont fleuris, et les coucous aussi.
Le ciel est gris, il pleut : il pleut sur les vallées,
Sur les genêts en fleurs, et les coucous aussi.

Il pleut sur les sentiers, il pleut sur les prairies,
Sur toute la Touraine et tout le Vendômois.
Il pleut sur les clochers, sur la terre fleurie,
Sur les coucous des champs, sur les coucous des bois.

Jaunes sont les genêts dans les vertes vallées,
Jaunes sont les coucous, les boutons d’or aussi.
La terre est fraîche, il pleut : il pleut sur les vallées,
Sur toute la Touraine, et les coucous aussi.
                                        (octobre 1913)