dimanche 21 décembre 2014

Bernard Marcotte et Roger Dévigne



Roger Dévigne fut un homme aux multiples talents : il fut poète, romancier, journaliste, s'intéressa au folklore, puis dirigea la Phonothèque nationale...

En 1905, il était au lycée Louis-le-Grand, dans la même khâgne que Bernard Marcotte (et Paul Tuffrau).  Peu après, il fonda le Mouvement visionnaire, pour célébrer la beauté dans la vie et dans l'art, l'imagination et la liberté dans la création... Pour en diffuser la pensée, il créa, sous le pseudonyme de Georges-Hector Mai, une revue, La Foire aux Chimères, avec Lucien Banville d'Hostel, André Colomer, Gabriel-Tristan Franconi, Bernard Marcotte, et d'autres... Cette revue ne parut que jusqu'en juin 1908. Les Actes des Poètes lui succédèrent, jusqu'en 1911. 


Bernard Marcotte publia dans ces deux revues : 
La Foire aux Chimères :
- N°1. Décembre 1907
            Autour de la mort
            Les comédiens (poème)
            La statue (poème)
- N° 2. Du 15 janvier au 15 février 1908
            Idéalistes et Bouffons. Comme quoi le bon saint Don Quichotte décloua Monseigneur Jésus (poème)
            II. – La parodie
            III.  – Les retours
- N° 3. Imprimé en mars pour avril 1908
            Les tombes (poème)
- N° 4. Imprimé en mai pour juin 1908
            Idéalistes et Bouffons : Le Moulin des Chimères. I. – Le défi (poème)
 Les Actes des Poètes :
- N° 4. Mars 1910
            Vierges de France (poème)
- N°5. Avril 1910
            Une nuit…. (Fragment) (poème).

Dans un article paru dans Les Nouvelles, datées des 25-26 janvier 1912, Le Prix de Rome des Poètes, Roger Dévigne reconnaissait:
Seul, le discret et pur Bernard Marcotte s'avance en tête, et bien en avant de tous.
Mais sa sensibilité, trop délicate, ne lui permet pas d'affronter les hasards d'un concours.

Après la Première Guerre mondiale, Roger Dévigne continua à tâcher de faire connaître les œuvres de Bernard Marcotte. Il avait fondé une nouvelle revue, L'Encrier. Dans son numéro 1, paru en mai 1919, il plaidait pour la réédition des Fantaisies Bergamasques, le seul livre de Bernard Marcotte paru de son vivant, en 1913, mais dont la diffusion n'avait été que très limitée : 

Par un jeu singulier de son destin, Bernard Marcotte, qui est vraisemblablement un des premiers prosateurs de notre génération, n’a jamais publié qu’un livre, presqu’à son corps défendant, et pour le voir aussitôt comme escamoté par fées malignes et ces lutins philosophes dont Marcotte fait, à l’ordinaire, sa compagnie.

À cette heure, il soigne des blessures, une main mutilée… Il sut, comme tout homme de goût, faire figure de héros,  se couvrir de palmes, de peine et de gloire. Mais il eut la grâce de pouvoir, enfoui dans la boue et le sang pourri des tranchées, écrire des traités de joie, de lumière, de fines aventures : Le traité de Sapience, Ma Mère l’Oye…

Les Fantaisies Bergamasques, éditées en 1913 par le Temps Présent, virent la mort, la guerre frapper des éditeurs et un livre que la critique n’a pas assez connu, que le public ne saurait ignorer plus longtemps.

Il serait aussi prétentieux que maladroit de prétendre enfermer dans la boîte rectiligne d’une analyse ce songe ondoyant où gambadent, pérorent, rient et passent les Arlequins, les Docteurs, les amoureuses de Bergame, des Flandres et de tous les pays où la Fantaisie a droit de péage…

J’ai donc tenté de choisir un morceau dont l’arrachement ne fut point une profanation. Je crois l’avoir trouvé dans la préface. Je vous l’offre, brin isolé d’une belle et riche gerbe, dans l’espoir que vous voudrez et saurez, par vos propres moyens, savourer tout au long Les Fantaisies Bergamasques de Bernard Marcotte.
Par la suite, toujours dans L'Encrier, Roger Dévigne publiait, en quatre livraisons, de février 1920 à mai 1921, Ma Mère l’Oye, pièce de théâtre de Bernard Marcotte.

Entretemps, Roger Dévigne parlait de Bernard Marcotte lors d'une causerie dans le salon de Mme Aurel (Le Rappel, jeudi 26 juin 1919 ; Le Radical, 30 juin 1919 [1]). Et en 1921, un ou des poèmes de Bernard Marcotte furent lus lors d'une réunion des "Amis des fées", une association fondée par Roger Dévigne [2].

Plus tard, Roger Dévigne consacra un article à Bernard Marcotte, dans le numéro du 1er janvier 1938 du journal littéraire Jean-Jacques, consacré à des auteurs disparus : Chants interrompus (Hommage à quelques écrivains français dont l’œuvre a été interrompue par une mort prématurée) [3], Bernard Marcotte, tué deux fois, dans lequel il dressa un vibrant hommage à son ami :
   Je sais, je sais… C’est la guerre qui a broyé, écrasé, le corps de  Bernard Marcotte, qui a tué d’abord sa chair, enfin son âme rayonnante, grave et paisible. Mais son œuvre, son œuvre ? Qui l’a tuée ? Qui a jeté sur elle les pelletées de terre de l’oubli ? Qui l’a ensevelie plus profondément que le corps, pendant que paradaient et salamalequifiaient aux ventes et buffets d’écrivains combattants ceux qui n’étaient pas morts et le faisaient bien voir ?...  Qui est responsable de l’effroyable oubli qui écrase cette œuvre gonflée de lumière et de joie ?... Bernard Marcotte a été tué deux fois : par la guerre et par l’indifférence des survivants. [...]
   La dernière fois que j’ai revu Marcotte, c’était à Briançon. Il y avait du soleil sur la porte de l’hôpital militaire et de la neige sur les montagnes. « Le lieutenant Marcotte, me dit un infirmier. Il est dans sa chambre. Il vous attend. »

   « Excuse-moi, Roger, fit doucement Bernard, je ne suis pas seulement dans ma chambre mais entre mes deux planches. Or, tu vois, on s’accoutume à tout. Avec ce jeu de poulies et de cordes accroché au plafond, je soulève cette anticipation de cercueil dans lequel je suis plaqué en sandwich, je redresse ce quelque chose qui subsiste de mon corps, et je lis, et je te regarde et je te parle. »

   Ô Bernard Marcotte, mon frère bien-aimé, mon camarade stoïque. Tu n’as même pas voulu que je te revoie, le lendemain, à l’heure où un soldat te roulait au soleil, sous les derniers feuillages, dans un sinistre lit à roues caoutchoutées. « Cela me gênerait un peu, malgré tout, murmuras-tu avec un pauvre sourire. Je ne veux pas que tu emportes de moi  cette image. Tiens, assieds-toi. Écoute, plutôt, ces pages de moi que tu ne connais pas. »

   Et il lut, de sa voix ferme, chaude, des pages pleines de lumière, pleines de vie, pleines d’une joie philosophique et inflexible…
Et, le 16 janvier 1948, dans une lettre adressée à Louis Jouvet [4], un ami commun, qui aussi avait été du Mouvement Visionnaire, il le sollicitait : 
   Il faudra, quand tu seras à Paris, que tu trouves une demi-heure pour venir au labo de la Phonothèque Nationale. Certes l’industrie a enregistré ta voix et, bien entendu, nous l’avons. Mais j’aimerais que tu dises, devant notre micro, un poème de Bernard Marcotte. Ainsi, nous rendrions, toi-moi, un suprême hommage au cher camarade. Ainsi pourrait-il figurer dans notre Anthologie Sonore des Poètes, où il y a (je cite, en vrac) Kipling, Verhaeren, Apollinaire, Paul Fort, Paul Valéry, Paul Claudel, etc, etc..
   Qu’en penses-tu ? 

[1] Disponibles sur Gallica.
[2] Belles-Lettres, juin 1921, n° 24, p. 663.
[3] BNF - cote : MFILM JOA-401 (1937-1939).
[4] Les lettres de Roger Dévigne à Louis Jouvet ou à Madame Else peuvent être consultées dans le Fonds Louis Jouvet de la BNF (Département des Arts du spectacle) (cote LJMN – 90).


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